jeudi 2 août 2012

LES PYU ET LE CULTE ARI - ENTRE HISTOIRE ET LEGENDES

Dans mon roman, je présente les Ah Ye Gyi (Aris ou culte Ari) comme une secte religieuse tantrique apparue à l’époque des cités-Etats pyu, avant d’entrer dans la clandestinité lors des persécutions qui ont accompagné l’instauration du Theravada comme religion d’Etat par le roi birman Anawrahta. Il s’agit bien entendu d’une interprétation personnelle des données (encore floues), dont nous disposons sur les Pyu et sur ce passage de relais entre leurs cité-Etats et le royaume birman centralisé de Bagan.

Les Pyu, comme les Birmans, étaient un peuple tibéto-birman venus du Nord en suivant la vallée de l’Irrawaddy. Dans son excellente thèse « The origins of Bagan. The archaeological landscape of Upper Burma to AD 1300 », Bob Hudson, de l’Université de Sydney, explique que les cités-Etats pyu sont sans doute apparues à la suite d’un déplacement de populations depuis la vallée de la Samon pour donner naissance aux cités de Maingmaw, Beikthano, Waddi, Halin et Sriksetra. La civilisation de la vallée de la Samon s’est développée au néolithique grâce à plusieurs facteurs : situation au carrefour d’une route marchande entre l’Inde et la Chine, développement de la riziculture, exploitation de ressources naturelles (sel de Halin, cuivre des collines shan, etc.). Les relations entre les Pyu et l’Inde et la Chine étaient déjà étendues dès l’âge de bronze. Il est probable que les croyances alchimiques se soient développées en même temps que le travail du fer et des premiers alliages, les techniques et les métaux se répandaient chez les Pyu au gré des échanges entre l’Inde et la Chine.

Dans « Forgerons et alchimistes », Mircea Eliade rappelle que les forgerons ont toujours bénéficié d’un statut particulier. Leurs savoir-faire et leurs techniques ont très vite pris un sens symbolique, religieux, les métaux étant déjà associés aux planètes ou encore l’or à l’immortalité dès l’Antiquité en Mésopotamie. De même, la métallurgie revêtait une importance économique et même politique (armes de guerres) dès l’âge du bronze. Tout cela explique pourquoi les forgerons ont dissimulé leur savoir opératif derrière des symboles, jusqu’à donner naissance à une gnose spéculative qui finit par prendre son indépendance vis-à-vis de ses racines : l’alchimie. Aggiya, qui désigne l’alchimie en birman signifie d’ailleurs « travail du feu ».

On est donc en droit de penser que les croyances alchimiques que l’on retrouve encore aujourd’hui dans la culture birmane, trouvent leurs racines dans cette civilisation pré-pyu de la vallée de la Samon. Tout comme les croyances animistes dans les Nats. A cette époque, la civilisation pyu n’était pas encore fondée sur un modèle indien. Ce n’est qu’avec les migrations de populations du bassin de la Samon vers d’autres vallées que la société pyu va s’organiser sur un modèle centralisé indien.

Les raisons qui expliquent ces déplacements de populations restent encore difficiles à expliquer, dès lors que la pression démographique ne semble pas pouvoir justifier ce phénomène à elle-seule. Toujours est-il que les première cités-Etat pyu fortifiées, organisées autour du culte de leurs fondateurs, apparaissent entre le 2ème et 4ème siècle après J.C. Selon Bob Hudson, il s’agirait d’un mouvement volontaire de quelques individus séduits par la notion indienne de « royauté » et qui se trouvaient bridés ou incapables d’imposer leur leadership dans le modèle rural de la Vallée de la Samon. On ne peut que se remémorer les invasions et explorations vikings, lancées par des cadets ou des chefs de guerre souhaitant eux-aussi créer leurs royaumes et obligés, pour ce faire, de quitter leur Scandinavie trop étroite. L’adoption du modèle indien par la société pyu, plutôt que du modèle chinois lui-aussi connu, serait ainsi un choix volontaire dû à l’attractivité de la culture indienne de l’époque, comme l’indique, par exemple, le nom des cités pyu Beikthano (Vishnu) ou Sri Ksetra.

Ainsi, c’est l’Inde qui va donner son écriture à la langue pyu, son système politique centralisé aux cités-Etats pyu et qui va introduire l’Hindouisme, le Tantrisme, le Bouddhisme Mahayana et aussi le Theravada au sein de cette société. Le calendrier bouddhiste devient ainsi le calendrier officiel. Il est difficile de dire si une forme de Bouddhisme en particulier était prédominante chez les Pyu, d’autant plus que ces religions sont venues se greffer sur leurs croyances animistes traditionnelles toujours en vigueur, ainsi que sur d’autres cultes animistes indiens tels que celui des neuf planètes ou du Naga. Il semble que les influences aient différé d’une cité à l’autre et selon les époques. Ce mélange de croyances aurait toutefois donné naissance au culte Ah Yee Gyi (Ari), dont je parle dans mon roman.

Là encore, il est difficile de faire la part des choses en ce qui concerne les Aris, entre les rumeurs, les récits des « Glass Palace Chronicle » (Hmannan Yazawin) et les découvertes archéologiques. Les « Chroniques du Palais de Verre », commandées par le Roi Bagyidaw en 1829, dépeignent les Ah Ye Gyi comme une secte de moines dépravés, se laissant pousser la barbe et les cheveux, pratiquant l’alchimie et le culte du Naga, et poussant l’hérésie jusqu’à consommer du boeuf et de l’alcool, à se battre, à réciter des mantras pour laver leur kamma et à imposer le jus prima nocte. Finalement, on nous raconte qu’une fois converti au Theravada, le roi Anawrahta (1014-1077), roi de Bagan et fondateur du premier empire de Birmanie, obligea les Aris à se convertir et les incorpora à l’armée, faisant exécuter les récalcitrants. On peut légitimement douter de la véracité de cette description faite presque mille ans après, sur la commande d’un monarque voulant imposer le Theravada comme seule religion légitime et voulant ancrer les origines de sa dynastie dans l’histoire. Les découvertes archéologiques et l’étude des écrits venant d’Inde et de Chine, permettent d’imaginer ce qu’était réellement le Bouddhisme Ari.

Il semblerait que le roi Anawrahta lui-même ait été éduqué dans le Bouddhisme Ari avant sa conversion au Theravada par Shin Arahan, ce qui tendrait à montrer qu’il ne s’agissait pas, à l’évidence, d’une secte marginale. Le mot Ari lui-même, proviendrait d’ailleurs du sanscrit Ariya signifiant « nobles ». Les Aris disposaient a priori de halls d’ordination et monastères, ce qui en faisait un clergé officiel.

Qu’ils aient pu pratiquer l’alchimie, le culte du Naga et les anciennes croyances animistes est tout à fait possible, dès lors que l’on retrouve encore aujourd’hui ces éléments dans le Theravada birman, qui a su intelligemment intégrer les Nats à la cosmologie bouddhiste ; cette même cosmologie qui provient de l’Hindouisme qui a influencé la culture pyu (Sumeru, Thagyamin aka Sakka, Naga, devas, etc.). De même, il n’est pas rare de rencontrer des moines weizza (weikza), plus ou moins ermites, qui disent avoir acquis de grands pouvoirs grâce à leurs expériences alchimiques, qu’elles soient opératives ou spéculatives. Pour plus de détails, je vous renvoie à l’ouvrage de Guillaume Rozenberg, « Renoncement et puissance ». 

Accuser les Ah Ye Gyi de consommer de la viande et de l’alcool, en revanche, semble aussi crédible que d’accuser les Templiers de sodomie et de satanisme. Il s’agit d’une accusation efficace pour taxer un moine bouddhiste d’hérésie, et rien ne prouve qu’ils enfreignaient, en effet, les règles du Bouddha en la matière. Les découvertes archéologiques récentes montrent cependant que dans la société pyu, largement indianisée, les sacrifices animaux et la consommation d’alcool, dans un but rituel, étaient courants ; les fêtes de Nats donnent encore lieu aujourd’hui à des beuveries dignes de Dyonisos. Il n’est pas certain, cependant, que les Aris aient partagé ces pratiques.

En ce qui concerne leur propension à la bagarre, il s’agissait en fait, comme pour les moines de Shaolin, de leur maîtrise d’un art martial non-violent permettant aux moines errants de se défendre sur les routes. Il existe toujours en Birmanie un art de combat, proche de l’Aïkido, que l’on appelle le Pongyi Thaing, « système martial des moines ». Des écrits chinois de la dynastie Tang concourent à cette idée, en décrivant les Pyu comme un peuple pacifique, portant du coton pour ne pas tuer les vers à soie, et auquel la guerre était étrangère ; les cités-Etats réglant leurs différends par des combats entre champions. Même si les fortifications qui entouraient leurs villes laissent penser le contraire, ce témoignage semble renforcer l’idée que les Aris pratiquaient en fait une forme d’art de combat pacifique. Une fois ces arguments démontés, il reste les deux accusations les plus intéressantes, à mon avis, en ce qu’elles renvoient toutes deux au Tantrisme ou Bouddhisme tantrique (Tantrayana ou Vajrayana), à savoir celles concernant les mantras et le jus prima nocte (droit du seigneur).

La question des mantras est sans doute l’un des éléments qui sépare le plus le Tantrisme du Theravada, avec l’utilisation, dans le premier cas, de divinités indiennes comme supports symboliques à la méditation. Pour comprendre ce que sont les mantras, il faut rappeler que le Tantrisme est apparu après le Theravada et le Mahayana. Il stipule que Bouddha aurait divulgué un enseignement secret, destiné à une minorité d’éclairés, qui permettrait d’atteindre plus rapidement le Nibbana, au moyen de pratiques complexes mêlant yoga et récitation de mantras, sortes de formules magiques qui ne fonctionnent que si elles sont correctement prononcées. L’union parfaite du corps et de l’esprit est ainsi censée libérer une énergie capable de provoquer l’Illumination soudaine chez le yogi.

A ce titre, certains rituels poussés du Tantrisme, maintes fois documentés, font appel à des relations sexuelles, afin de canaliser l’énergie libérée lors de l’orgasme. Cela a bien entendu été largement et rapidement détourné en Occident, notamment dans les années 1960 et 1970 par le mouvement hippie, par des personnes ne comprenant pas la dimension symbolique et religieuse de tels rituels. Quoiqu’il en soit, dans le cas où le Bouddhisme Ari incluait de telles pratiques, il est compréhensible qu’elles aient été condamnées par les adeptes du Theravada, fervent partisans du célibat des moines ; célibat qui n’est nullement une obligation dans le Tantrayana et le Mahayana, où il arrive que des Lamas soient mariés et aient des enfants. 

De même, certaines croyances ésotériques liées au Tantrisme, stipulent que les mantras, au-delà de leur fonction d’incantation religieuse, permettent dans certains cas d’acquérir des pouvoirs surnaturels, voire même de « laver » son kamma de ses mauvaises actions. Là-encore, il s’agit de croyances fortement condamnées par le Theravada, même si l’on en trouve encore des formes dérivées dans la Birmanie contemporaine, sous la forme du yadaya, un type de « magie noire », qui permettrait notamment de contrecarrer les effets d’un mauvais karma. Apparemment, c’est la raison pour laquelle le Général Than Shwe aurait commandé la construction d’une réplique de la pagode Shwedagon dans la nouvelle capitale de Nay Pyi Daw, en l’accompagnant de rituels de yadaya.

Quoiqu’il en soit, les mantras, et tout ce qui les accompagnent, notamment le rôle prédominant du gourou, constituent l’un des éléments fondamental du schisme qui sépare le Tantrisme du Theravada, ce dernier ne reconnaissant que les enseignements publics du Bouddha, recueillis dans le Tipitaka, et stipulant qu’il n’existe qu’un seul guide, le Bouddha, et que l’Illumination exige un travail personnel de longue haleine, sur plusieurs vies. Toute croyance affirmant qu’il existe des raccourcis ne peut donc être considérée que comme hérétique. Condamner les Aris en les accusant de réciter des mantras et de pratiquer le yoga était donc une manière de condamner le Tantrisme dans son ensemble et de justifier le fait que le Theravada devienne la seule religion d’état acceptée en Birmanie.

Reste la question du jus prima nocte (droit du seigneur), légende qui a donné lieu à autant de fantasmes en Asie qu’en Occident, où il n’a jamais existé d’ailleurs. Des rumeurs similaires couraient d’ailleurs dans la Chine et la Mongolie du 14ème siècle, accusant les Lamas tibétains de pareils crimes, comme le raconte Thomas David Dubois dans « Religion and the making of modern East Asia ». Plusieurs explications peuvent être proposées, en dehors du fait qu’une fois encore les "Chroniques du Palais de Verre" ont pu simplement lancer des accusations mensongères pour décrédibiliser les Aris.

Il pourrait notamment s’agir tout simplement d’une mauvaise interprétation ou traduction d’une cérémonie pratiquée par les Aris, « l’entrée des fleurs au monastère », qui signifierait en fait que les Aris ordonnaient aussi bien les garçons que les filles au sein de la Sangha, le clergé bouddhiste. C’est du moins ce que tendraient à montrer ce que l’on sait de la condition de la femme chez les Pyu, qui ne réservaient pas l’accès aux études qu’aux hommes. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi, dans mon roman, de faire de Sabai Pyu, une jeune-fille, le Minlaung (monarque messianique - voir mon article à ce sujet) et le futur leader de la secte des Aris, au risque de choquer de nombreux Birmans.

Toutefois, il est également possible qu’il ait existé une forme de rituel qu’accomplissaient les Aris au moment du passage des jeunes-filles à la puberté, comme celui décrit dans l’ouvrage « The legend and cult d’Upagupta » de John S. Strong. Il y retranscrit le témoignage d’un Chinois, Chou Ta-kuan, visitant Angkor en 1297 et assistant à la cérémonie ch’en-t’an. Voici ce qu’il écrit : « Pour cette occasion source de grand mérite, les parents invitaient un moine chez eux, l’escortant en grande pompe depuis son monastère. Des autels décorés étaient montés à l’extérieur de la maison et deux pavillons étaient érigés – l’un pour le moine, l’autre pour la fille. Des sommes importantes étaient dépensées pour le dāna, ainsi que pour l’animation de la fête qui durait toute la nuit avec la famille et les amis. Le son de la musique était assourdissant et quand le moment du rituel arrivait enfin, le moine pénétrait dans les appartements de la jeune-fille. La suite est mieux dite par Chou lui-même : "j’ai entendu dire qu’il la déflore alors avec ses doigts et qu’il trempe sa main dans du vin. Puis, le père, la mère, la famille et les amis se marquent le front avec le vin ; certains disent même qu’ils le boivent. On m’a aussi dit que le moine avait en fait des relations sexuelles avec la fille, mais d’autres affirment que cela est faux. Il est difficile pour un Chinois d’être certain de ce genre de choses. Quoiqu’il en soit, à l’aube, le moine est raccompagné au monastère, avec des palanquins, des parasols et de la musique. ».

Quid des Aris et de la rumeur les concernant ? S’agissait-il simplement de l’ordination de filles ou s’adonnaient-ils à des cérémonies telles que ceux décrites par Chou Ta-kuan ? Ou pratiquaient-ils encore des rituels tantristes impliquant des relations sexuelles ? Il est difficile de faire la part des choses et de savoir exactement ce qui relève de la fiction et de la réalité. Dans mon roman, j’ai pris le parti de faire des Aris une secte bouddhiste tantrique fortement indianisée, choisissant un juste milieu entre la légende qui les entoure et ce que nous en savons. Cela explique notamment mon choix dans mon roman de faire du rituel d’initiation de Sabai Pyu, une cérémonie d’ordination mixant le témoignage de Chou Ta-kuan et des pratiques sexuelles du yoga tantrique.

J’ai également choisi de tracer un lien historique entre les Aris et Izza-Gawna (Eizagona - voir mon article à son sujet) tout d’abord, qui était le premier alchimiste de Birmanie selon les légendes populaires. De même, j’ai fait perdurer le culte Ari au-delà de la conversion du Roi Anawrahta au Theravada. En effet, le premier volume « The Cambridge History of Southeast Asia » stipule que les premières traces du Tantrisme en Birmanie datent du 13ème siècle, soit deux cents ans après Anawrahta, et que le terme Ari, provenant en fait d’ārannaka (sylvestre), ferait référence aux moines ermites méditant dans la forêt. Des inscriptions de cette époque parlent d’ailleurs d’une secte arannavasi, dirigée par un certain Mahakassapa, qui aurait fait de la concurrence à l’école orthodoxe Sinhala du Theravada originaire du Sri-Lanka.

Les inscriptions des temples Nandamanna et Payathonzu à Minnanthu, près de Bagan, qui dépeignent des moines aris consommant du bœuf et de l’alcool datent d’ailleurs du 13ème siècle. C’est la raison pour laquelle, j’ai ensuite poursuivi ce lien historique entre l’époque d’Anawrahta et le 13ème siècle, en faisant tout d’abord du roi Kyansittha un Ari, puis en dispersant les Aris dans la forêt suite à l’invasion de Bagan par les armées de Kubilai Khan en 1287, pour finalement les faire réapparaître en 1885 au moment de la chute de Mandalay. En fait, mon histoire des Aris, une société secrète pratiquant l’alchimie, le Tantrisme, le culte des Nats et du Naga et traversant les siècles de manière cachée et souterraine, symbolise les pratiques et croyances qui ont perduré de manière souterraine au sein de la société birmane, et qui sont encore observables aujourd’hui dans le Theravada birman, en en faisant un système de croyances tout à fait unique.

Pour conclure cet article, je dirais que la légende des Aris et des persécutions qu’ils ont subies suite à la conversion d’Anawrahta offre, une fois de plus, une lecture symbolique de l’histoire. Car, si les Aris étaient un clergé né au temps des cités-Etats pyu, et qu’Anawrahta était un roi birman ayant fondé le premier empire de Bagan, comment expliquer le passage de la civilisation des Pyu à celle des Birmans ? Cette disparition du clergé Ari et le glissement d’une religion dominante à un autre, ne sont-ils pas symboliques de ce passage de relais d’un peuple à un autre ?

La théorie habituelle veut que ce soient les incursions du royaume de Nanzhao (ou Nanchao, actuel Yunnan) qui aient fragilisé les cités-Etats pyu, laissant la possibilité à une autre population, les Birmans, de même origine et venant du Nord, de prendre peu à peu la place laissée par les Pyu. Selon Bob Hudson, les attaques du royaume de Nanzhao ne suffisent pas à expliquer le déclin des cités pyu, puis la disparition de leur culture. En fait, une explication possible serait que ce sont les Birmans eux-mêmes qui auraient effectués ces attaques depuis Nanzhao, à partir du 9ème siècle. Myanmar vient, en effet, de mra (prononcé "mya"), qui veut dire « cheval ». Il est donc probable que les Birmans étaient à l’origine un peuple de cavaliers, comme les Mongols, menant des raids contre les cités pyu, faisant même parfois alliance avec une cité contre une autre.

C’est ce que montre le fait qu’un chef Nanzhao du nom de Ch'uan-feng-yu, portant le titre de «Seigneur des Pyu», se soit vu remettre un Bouddha en or en remerciement de son aide contre une incursion militaire. Bob Hudson montre d’ailleurs comment l’apparition de la cavalerie dans le paysage guerrier pyu, a peu à peu rendu obsolètes les murailles dont s’entouraient leurs cités-Etats.

On peut donc imaginer qu’un chef Birman, ayant installé son clan ou ayant créé sa cité dans la vallée de l’Irrawaddy, ait réussi à s’imposer comme suzerain de cités-Etats pyu, qui se soient progressivement placées sous sa protection, devenant ainsi les vassales d’un royaume dont le centre serait situé à Bagan. Comme l’indique Bob Hudson, il n’y a donc pas eu de « chute » brutale du royaume pyu, dès lors qu’il s’agissait d’un réseau décentralisé de cités autonomes et qu’il n’y avait pas de royaume à faire chuter. Il ajoute que l’introduction du Bouddhisme dans la société pyu a fragilisé le système politique en place, en impliquant de la population dans les rituels religieux, qui étaient jusque-là l’apanage d’une élite, Brahmanes et chefs de la cité, qui dirigeaient selon le modèle des castes indiennes. Le régime pyu, centré autour de la personne du roi, se disloqua peu à peu, ce qui facilita sans doute les incursions extérieures.

Finalement, on peut imaginer qu’en se sédentarisant et en prenant l’aval sur une civilisation avancée, les Birmans ont adopté la culture pyu, comme l’ont fait les Mongols de la dynastie des Yuan en Chine : la culture du riz, la cité entourée de murailles, les stupas, l’écriture, les systèmes d’irrigation, etc. et bien entendu la religion. De leur côté, les Pyu ont eux-aussi progressivement intégré la culture de leurs envahisseurs, au fur et à mesure que les deux peuples se sont mélangés. Les Pyu ont continué d’être mentionnés dans l’Histoire jusqu’au 13ème siècle, ce qui prouve qu’ils n’ont pas disparu d’un coup. La pierre de Myazedi, véritable pierre de Rosette birmane, date de 1113. Elle constitue l’un des meilleurs vestiges de l’écriture pyu, et par la même occasion, la première inscription en Birman. Le fait que ce monument fasse apparaître une face en langue môn laisse probablement penser que c’est ensuite la culture môn qui a influencé la culture birmane, à la suite de la conquête du royaume de Thaton par Anawrahta, laissant peu à peu la culture pyu tomber en désuétude pour finalement disparaître. C’est finalement le modèle de la pagode môn qui sera repris par les Birmans, au même titre que le Theravada finira par s’imposer comme l’unique religion du royaume de Birmanie.

J’espère que cet article aura éclairé un peu plus ceux qui auront lu mon roman, sur ce qu’étaient les Pyu et les Aris (Ah Ye Gyi). Aux autres, je souhaite bonne lecture.