vendredi 27 avril 2012

INTERVIEW - MAGAZINE MIZZIMA

Mizzima est un magazine international spécialisé sur l'actualité concernant la Birmanie. Il s'agit d'un média de grande qualité qui décortique les enjeux auxquels la Birmanie doit faire face. Pour accéder à l'interview que je viens de donner pour présenter mon roman et mon point de vue sur la situation actuelle en Birmanie, merci de cliquer ici.

mardi 17 avril 2012

LA DYNASTIE KONBAUNG, ENTRE MYTHE ET REALITE

Les deux premiers chapitres de mon roman se déroulent en 1885, au moment de la chute de Mandalay, capitale du dernier royaume de Birmanie, ou de Haute-Birmanie. Même si j’explique dans mon ouvrage le cheminement qui a mené la dynastie des Konbaung à sa perte, je crois qu’il est intéressant de nourrir cet épisode avec quelques détails supplémentaires sur l’histoire de cette dynastie qui détient une place particulière dans le folklore et l’imaginaire collectif birman. On se rend compte, en effet, que l’histoire –réelle- de cette dynastie est entremêlée de légendes qui nourrissent encore les contes et les croyances ésotériques de Birmanie.

La dynastie des Konbaung est la dernière de la monarchie birmane et succède à celle des Taungoo (1531-1752). Elle est fondée en 1752 par Alaungpaya un chef de village qui prend la tête de la résistance contre les Môns. Alaungpaya est né dans le petit village de Shwebo, au Nord d’Ava, capitale de l’époque, sous le nom d’Aung Zeya (la très grande victoire). Le royaume de Birmanie est alors en pleine déliquescence et le roi, faible, ne peut faire face à l’offensive lancée par les Môns, avec l’aide de leurs alliés français. Rappelons que la rivalité entre les deux royaumes remonte à Anawratha et que le royaume môn a été sous le joug des Birmans depuis le 14ème siècle. Cette renaissance mône est cependant brève.

Alaungpaya repousse une expédition punitive des envahisseurs contre son village, puis reprend Ava. Il n’est alors pas le seul chef de guerre à essayer de se faire un nom, suite à la capitulation de l’armée du roi de Birmanie mais, fort de ce succès, il réussit à s’imposer comme le leader incontesté de la révolte contre les Môns. Très vite ses partisans voient en lui le Minlaung, le roi messianique, capable de rendre sa grandeur et son unité au Royaume de Birmanie, qui est en train de péricliter. Cette aura religieuse explique la rapidité avec laquelle il peut rassembler l’ensemble des Birmans derrière lui, usurper le trône sans trop de résistance (il ne l’a jamais rendu à l’héritier du roi tué par la Môns après la défaite de Kyaukmyaung en 1753) et lancer la contre-offensive.

Ses premiers succès ressemblent davantage à des récits de batailles bibliques qu’à des comptes-rendus d’historien, tant il semble que le sort soit de son côté par maintes occasions. Finalement, malgré quelques déconvenues, il parvient à reprendre toute la Birmanie et à vaincre les Môns à Dagon, en 1755, qu’il renomme Yangon (fin des combats), puis à prendre Pegou (Bago), capitale de leur royaume. Il conquiert ensuite le Sud du pays, ainsi qu’une partie du Siam, jusqu’à Ayutthaya, qui sera finalement prise par son fils Hsinbyushin en 1764, ainsi que Chang Mai et une partie de l’actuel Laos.
La genèse glorieuse de la dynastie Konbaung explique les légendes et croyances surnaturelles auxquelles elle a donné naissance. Il est ainsi compréhensible que Bodawpaya (Bodaw Phaya ou Maung Waing, 1782-1819), sixième roi de la dynastie et quatrième fils d’Alaungpaya, s’auto-proclame Metteya (ou Maitreya), « Future Bouddha », puisque l’avènement de celui-ci doit naturellement suivre la venue du Minlaung, le roi messianique, incarné aux yeux de tous en la personne de son père. Cette prétention est naturellement rejetée par le clergé bouddhique, la Sangha, ce qui n’empêche pas le Bouddhisme d’être florissant sous son règne. A ce titre, les Birmans continuent de considérer la destruction par un séisme du temple de Mingun, entamée sous son règne et dont il veut faire le plus grand stupa du monde, comme une réponse à sa mégalomanie, rappelant en ce sens l’épisode biblique de la tour de Babel. Le Mantalagyi reste malgré tout aujourd’hui la plus grande structure en briques du monde.

En aparté, les relations entre Bodawpaya et la Sangha montrent le rôle de contre-pouvoir qu’a toujours joué le clergé dans l’histoire birmane et la volonté permanente du gouvernement central de le contrôler et de l’instrumentaliser à des fins politiques. La "Révolution de Safran" de 2007 en est la preuve la plus récente.

Du fait de son ascendance glorieuse et de la mystique dont il entoure son règne, Bodawpaya apparaît également dans le folklore birman dans la légende de Bo Bo Aung. Bo Bo Aung, né Maung Aung ("Frère la Victoire", nom qui rappelle curieusement celui du roi Alaungpaya), est l’alchimiste le plus célèbre de Birmanie, comme je l’explique en détails dans mon roman. Je ne manquerai d’ailleurs pas d’écrire un article sur lui dans quelques temps. Quoiqu’il en soit, l’histoire nous dit que Bo Bo Aung et Bodawpaya sont amis et qu’ils étudient ensemble. On retrouve ainsi le tryptique MinlaungMetteyaZawgyi, du millénarisme ésotérique birman : le roi messianique annonce l’avènement du futur Bouddha, que l’alchimiste immortel attend impatiemment pour l’aider dans sa tâche et pour profiter de ses enseignements.

Cependant, nous avons vu en l’occurrence que la prétention de Bodawpaya d’être le Metteya est fermement repoussée par le clergé et que celle-ci émane en fait de son égo surdimensionné. Il est donc logique que la légende de Bo Bo Aung s’adapte à l’histoire et fasse de Bodawpaya un roi vaniteux qui essaie d’assassiner son ami par jalousie et par peur de ses pouvoirs surnaturels. Comme je le raconte dans mon ouvrage, l’alchimiste triomphe évidemment, mais promet au roi de veiller sur sa descendance. Car, si Bodawpaya n’est pas le Metteya, la venue de ce dernier est toujours attendue, dès lors que le statut de Minlaung d’Alaungpaya n’est pas remis en cause. Il est donc naturel que le « futur Bouddha » soit issu de la dynastie des Konbaung.

Le successeur de Bodawpaya est Bagyidaw, son petit-fils (1819-1837). Suivant les conseils du Général Maha-Bandula, héros militaire birman, il continue la politique d’expansion de ses prédécesseurs et prend l’Assam et le Manipur, entrant en contact direct avec l’Empire Britannique. S’ensuit la première guerre anglo-birmane, remportée par les Anglais, qui se conclue par la signature du Traité de Yandabo en 1824 et la perte de l’Assam, du Manipur et de l’Arakan (ça s’en va et ça revient).

Pour en savoir plus sur cet épisode des relations anglo-birmanes, je conseille vivement la lecture du livre de Henry Gouger « A Personal Narrative of Two Years' Imprisonment in Burma », qui raconte avec beaucoup d’humour la vie de la cour à cette époque, mais aussi le système pénitencier birman, qu’il expérimente pendant deux ans suite à la première guerre anglo-birmane. Un récit d’aventure vivant, un classique en somme, qui vous divertira intelligemment. Suite à sa défaite qui le rend dépressif, Bagyidaw laisse son épouse, la reine Nanmadaw Me Nu, diriger le pays jusqu’au coup d’Etat mené par son frère Tharrawaddy Min, qui prend le pouvoir en 1837.

Ce putsch est intéressant, car il permet d’effectuer un retour sur la légende de Bo Bo Aung. En effet, au moment où il prend le pouvoir, Tharrawaddy Min fait exécuter la reine et le fils unique de Bagyidaw, le Prince Setkya. Il est de coutume à la cour birmane de se débarrasser des éventuels rivaux au trône lors de ces prises de pouvoir par la force. Le couronnement de la reine Supayalat, en 1878, en est le meilleur exemple. Quoiqu’il en soit, Bo Bo Aung a promis à Bodawpaya de veiller sur sa descendance directe, afin de protéger le « futur Bouddha ». Or, la mort du Prince Setkya pose évidemment problème. La légende prend donc le pas sur l’histoire pour nous expliquer que le Zawgyi a miraculeusement sauvé le prince et l’a emmené au royaume de Thagyamin, souverain des nats (esprits) en attendant que l’époque soit propice à son avènement comme Metteya. Cette croyance eschatologique fait évidemment penser à celle que l’on retrouve dans l’Islam chiite, avec le Madhi, 12ème Imam caché. On peut d’ailleurs noter que le 19ème siècle a été propice à l’apparition de ce type de croyances apocalyptique dans le monde entier : le Khaytisme, le Babisme, le Baha’i, les Mormons, l’Adventisme, etc. La conclusion de cette légende montre également que l’ésotérisme birman, en particulier l’alchimie, sert en quelque sorte de ciment entre l’animisme traditionnel, les croyances issues de l’Hindouisme et l’orthodoxie du Bouddhisme Theravada.

Pagan Min (1846-1853) succède finalement à Tharrawaddy Min à la mort de ce dernier en 1846, après avoir tué ses deux frères rivaux. En 1852, les Britanniques remportent la deuxième guerre anglo-birmane, déclarée suite à une provocation anglaise injustifiée, annexant toute la partie sud du pays. Le royaume ne conserve que la Haute-Birmanie.
Le demi-frère de Pagan Min, Mindon, qui s’était opposé à cette guerre, monte finalement sur le trône en 1853, suite à l’abdication de celui-ci, offrant à la Birmanie sa dernière période de paix et de prospérité.

Mindon Min reste probablement l’un des souverains les plus populaires et respecté de l’histoire birmane, même s’il ne possède pas l’aura des conquérants que sont Anawrahta ou Alaungpaya. Malgré les pressions extérieures de la part des grandes puissances coloniales européennes, il parvient à maintenir la paix dans le royaume, à moderniser l’armée et l’économie birmanes et ouvre même la voie à une monarchie constitutionnelle, qui ne verra pas le jour du fait de l’opposition du Conseil royal. Comme la plupart des rois birmans, Mindon Min déplace la capitale du royaume et construit une nouvelle cité royale à Mandalay, en 1857, réalisant ainsi une prophétie du Bouddha, selon la légende.

Bien que les archives officielles n’en fassent pas état, la rumeur veut qu’il ait sacrifié une cinquantaine de personnes en les enterrant vives sous les remparts, pour que leurs leikpyas (esprits papillons) protègent le palais. On s’aperçoit que la culture birmane conserve des aspects vivaces de l’animisme traditionnel. Car, si le Bouddhisme veut qu’il n’existe pas d’âme immortelle, la croyance populaire stipule que l’esprit d’une personne morte violemment continue de hanter les vivants. La tradition veut que les moines se relaient pendant sept jours dans le foyer d’un mort pour prier, afin de pousser l’esprit à quitter ce monde. On retrouve cela en Thaïlande, où le leikpya est appelé khwan. Je conseille la lecture de « Burmese supernaturalism » de Melford Spiro à ce sujet.

Mindon Min, comme la plupart des rois birmans, a de nombreuses épouses et donc beaucoup d’enfants. Par faiblesse ou à cause de la maladie qui le tuera en 1878, il n’a pas la force d’imposer un successeur. C’est là qu’intervient le couronnement de Thibaw Min et de Supayalat en 1879, qui sont les derniers monarques de Birmanie et donc de la dynastie Konbaung. Ceux qui ont lu mon livre en sauront déjà beaucoup sur les dernières années de la vie du Royaume de Birmanie, qui tombe en 1885, suite à la prise de Mandalay par les Anglais. Je conseille néanmoins la lecture de plusieurs ouvrages passionnants sur ces années troubles de l’histoire birmane.

Tout d’abord l’ouvrage de Harold Fielding-Hall « Thibaw’s queen », qui raconte la vie de la cour et de ce couple royal pas comme les autres, jusqu’à l’annexion anglaise. Il s’agit du témoignage vivant d’une demoiselle d’honneur qui revisite ses années passées au service de Supayalat de manière ingénue et émouvante. Je recommande enfin les lettres du pasteur James Alfred Colbeck, publiées après sa mort par son frère en 1892, sous le titre « Letters from Mandalay, A series of letters for the most part written from the royal city of Mandalay during the troublous years of 1885-79; Together with letters written during the last Burmese campaign of 1885-88 ».

Le Père Colbeck a vécu à la fois l’accession au trône de Thibaw et le massacre des prétendants qui a suivi (il commet cependant quelques erreurs à ce sujet, en accusant notamment Supayalat et Thibaw d’en être les instigateurs), et il a ensuite accompagné l’armée britannique lors de la campagne de 1885. A ce sujet, je tiens à dire que le récit que je fais de la fuite du Prince Nyaung Yan dans mon roman (l’aïeul de Sabai Pyu) s’appuie directement sur le témoignage du Père Colbeck qui lui a sauvé la vie.

Avec la chute de Mandalay disparaît évidemment la croyance populaire en l’avènement du Metteya au sein de la descendance d’Alaungpaya. Il faudra finalement attendre la venue d’Aung San, le père d’Aung San Suu Kyi, pour que le peuple pense de nouveau avoir trouvé le Minlaung, le roi messianique chargé d’amener un nouvel âge d’or. Aung San n'a d'ailleurs cessé de se chercher des origines royales et légendaires, afin de justifier son statut et de s'entourer de la même aura religieuse qu'un Alaungpaya, par exemple. Mais cela fera l’objet d’un autre article.

Jak Bazino

mercredi 11 avril 2012

SHIN EIZAGONA, LE PREMIER ALCHIMISTE DE BIRMANIE

Dans le prologue de mon roman, je raconte l’histoire du moine Eizagona (Ajagona, Izza-Gawna, Itzagawna), plus connu sous le nom de  « Moine Bouc-Bœuf ». On peut retrouver ce personnage, l’un des plus célèbres du folklore birman, dans les ouvrages de Ferguson et Mendelson, sur le bouddhisme ésotérique, les sectes millénaristes et l’alchimie birmane (aggiya). Outre l’aspect récréatif de ce conte traditionnel, l’histoire d’Eizagona regorge de thématiques et de symboles précieux pour la compréhension de l’émergence du Bouddhisme Theravada en Birmanie.

Eizagona était un alchimiste (weizza), ce qui, dans l’orthodoxie Theravada est incompatible avec le statut de moine. Rappelons que l’alchimie opérative birmane, comme l’alchimie taoïste, indienne ou occidentale, a pour objectif la fabrication de la pierre philosophale (datlone) dans le but de créer de l’or et d’atteindre l’immortalité. Cela paraît donc contradictoire avec le détachement absolu, le Nibbana, vers lequel doit tendre un moine bouddhiste.

On peut, par conséquent, en conclure qu’Eizagona était probablement membre d’une secte ésotérique et millénariste, dont les adeptes cherchaient à atteindre l’immortalité afin de pouvoir assister à l’avènement du futur Bouddha, le Metteya, et de profiter de son enseignement pour atteindre l’Illumination ; immortalité leur évitant une possible réincarnation néfaste en animal, du fait d’un mauvais kamma passé, qui les priverait de cet enseignement.

Il est intéressant de constater que ce type d’eschatologie est apparue simultanément en Asie, au Moyen-Orient et en Europe aux environs du 10ème et du 11ème siècle, de même qu’en sont apparues d’autres dans le monde entier à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle. Sont-elles nées en réaction à des changements politiques et culturels brutaux ? A des résistances face à la montée de mouvements philosophiques contradictoires ?

Quoiqu’il en soit, il semblerait que l’histoire d’Eizagona se situe avant l’arrivée du roi Anawrahta sur le trône de Bagan et la conversion forcée, mais progressive, de l’ensemble du royaume au Bouddhisme Theravada. Elle prend probablement place au tout début du royaume de Bagan, à cette époque de transition des cité-Etat pyu vers le royaume unifié birman, au moment où ces deux sociétés et ces deux cultures fusionnèrent.  Rappelons que les Pyus étaient en majorité bouddhistes, mais que leur culture et leur système politique avaient été mis en place selon un modèle indien. C’est d’ailleurs l’un des facteurs qui a pesé dans l’apparition d’un royaume centralisé autour de Bagan, selon la thèse « Origins of Bagan », publiée par Bob Hudson, en 2004, à l’Université de Sydney. Je recommande d’ailleurs cette étude passionnante sur la civilisation Pyu.

Ainsi, si certains Pyus étaient déjà theravadistes, beaucoup étaient également mahayanistes ou tantristes. En repensant aux quelques écrits qui nous sont parvenus sur les Aris, secte tantrique pratiquant l’alchimie, on ne peut, dès lors, s’empêcher de penser qu’Eizagona était un moine Ari. Les « chroniques du Palais de Verre » racontent qu’après qu’Anawrahta a choisi le Theravada comme religion d’Etat, les Aris n’ont eus d’autre choix que de se convertir ou de mourir. On comprend, ainsi, toute la portée symbolique et l’effet de catharsis de la légende d’Eizagona.

Eizagona a, en effet, fini par découvrir la Pierre philosophale, source de richesses qui a permis aux habitants de Bagan de construire des milliers de pagodes, puis est allé atteindre l’Illumination au Mont Popa, avant de se retirer dans la « Gaing » (société religieuse) céleste des alchimistes en attendant la venue du futur Bouddha.
Sa légende rappelle donc le lien qui unit les sociétés birmane et pyu, l’une n’ayant pu devenir l’empire qu’elle a été sans l’autre. Elle constitue une sorte de tribu, d’hommage, rendu par les Birmans aux Pyus. Si Bagan a pu se développer, c’est grâce à la richesse créée par les cités-Etat pyus qui l’ont précédée. Les Pyus étaient, en effet, passés maîtres dans l’art de construire des murs, des temples, des réseaux d’irrigation. Ils connaissaient le travail des métaux, l’écriture, battaient monnaie, etc. Ils ont fourni leur prototype aux pagodes birmanes, ont développé l’art du stuc qui a fait de Bagan la merveille qu’elle est devenue.


Ce conte donne donc une origine symbolique, mythique, au royaume de Bagan, dont la portée nous échappe sans doute en grande partie, mais qui devait être aussi forte pour les Birmans de l’époque que ne l’était le mythe de Romulus et Remus, de Paris, d’Athena, etc. pour les peuples de l’antiquité européenne. Un mythe rassembleur, unifiant les différentes cultures, croyances, populations qui se sont mélangé au sein de ce royaume, autour d’une origine commune et en direction d’un objectif commun : faire de Bagan le centre d’un empire riche et puissant, construit à la gloire de Bouddha.

C’est pourquoi la légende d’Eizagona trace le lien symbolique qui unit le Theravada aux croyances animistes encore ancrées dans la société birmane et à la cosmogonie hindoue reprise par le Bouddhisme. On passe ainsi de Bagan, devenu le centre symbolique du Bouddhisme à partir du 11ème siècle, au Mont Popa, qui est celui du culte rendu au Nats (esprits), et enfin au lieu céleste où les alchimistes immortels attendent le Bouddha en compagnie des divinités empruntées à l’hindouisme.

En dehors de cela, on retrouve naturellement dans ce conte, qui a dû être transformé au fil des siècles, les grandes thématiques et symboliques de l’alchimie birmane. On voit dès le départ qu’il s’agit d’une alchimie à la fois opérative – le moine travaille dans son laboratoire – et spéculative, puisqu’il s’agit d’un moine et que la Pierre philosophale lui permet d’atteindre l’Illumination.


On retrouve également la référence aux quatre éléments fondamentaux, qui sont à la base de l’alchimie. Tout d’abord, la terre, dans laquelle la Pierre se transforme ou dans laquelle le moine est enterré 7 jours avant d’atteindre l’immortalité. Il s’agit du premier élément, qui a toujours revêtu une importance fondamentale dans le Bouddhisme birman : « Gu », qui signifie « la grotte », est également présent dans le nom de nombreux temples. En effet, les temples de Bagan ont été construits de manière à ce que la lumière qui y pénètre rappelle celle d’une caverne, sans doute premier lieu de culte pour les peuples birmans descendus de l’Himalaya. Il suffit de voir les grottes de Lascaux pour se rappeler qu’il s’agit sans doute d’un des premiers lieux sacrés, symbole de fertilité, de renaissance, pour l’ensemble de l’humanité.  On y entre pour en ressortir transformé, ressuscité. Les moines continuent encore à méditer dans les cellules creusées à même la roche à Bagan ou à Pindaya, par exemple.

Le feu est également omniprésent dans la légende d’Eizagona. On le trouve tout d’abord dans le laboratoire du moine, qui détruit de dépit son fourneau lorsqu’il pense avoir échoué dans ses recherches. Je vous renvoie à ce titre, aux écrits de Mircea Eliade sur l’alchimie et le statut des forgerons dans toutes les cultures traditionnelles. Il s’agissait d’une des premières professions possédant ses rites d’initiation, ses codes secrets, ses symboles ésotériques, bien avant les bâtisseurs de cathédrales. Ce sont eux qui ont donné naissance aux croyances, symboles et connaissances des premiers alchimistes. On retrouve également la référence à cet élément dans la lumière que produit la Pierre, dans la transformation des métaux vils en métaux précieux, le feu étant l’élément transformateur par excellence. La pierre ne rend-elle pas la vue la vue, la lumière au moine énucléé, lorsque son disciple lui apporte un œil de bœuf et un œil de bouc ? A ce titre, l’alchimie birmane possède aussi une dimension médicinale (sei weizza), comme dans le Taoïsme ou l’Ayurveda et comme avec la Panacée.


De même, l’air est l’élément qui est sous-entendu lorsque Eizagona se rend au sommet du Mont Popa, la montagne étant l’un des premiers symboles de la connaissance et du divin. Il suffit de penser au Mont Olympe, aux Pyramides, à la Tour de Babel, qui pointent tous vers le ciel où se trouvent les dieux ; dieux, ou plutôt devas, que finit par rejoindre finalement le moine lorsqu’il a atteint l’Illumination (nibbana), c’est-à-dire un niveau de pureté de conscience qui s’apparente à la pureté et à la transparence de l’air.
Il semblerait que seule l’eau soit quasi-absente de ce mythe alchimique finalement.

Il est probable que la légende d’Eizagona soit porteuse d’encore bien des sens et des symboles qui m’auront échappés. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit de l’un des mythes fondateurs les plus importants et les plus vivaces de la Birmanie. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir l’autel qui lui est consacré sur la plateforme de la pagode Shwedagon à Yangon et d’entendre les parents raconter cette histoire à leurs enfants.

On trouve également le temple qui lui est dédié sur le site de Bagan, près du village Minnanthu. Le temple Shin Izza Gawna est un temple de style Zedi Pauk Gu (on retrouve la référence au Gu, « la grotte »), qui a été construit en 1237 par le Ministre Maha Thaman.

Sans doute constitue-t-il le point central de la constellation du cygne que cherchaient Sabai Pyu et Eric, qui sait ? Ceux qui ont lu mon roman comprendront.

Aux autres, je souhaite une bonne lecture.

Jak Bazino




mardi 3 avril 2012

BIBLIOGRAPHIE CHOISIE DE "ZAWGYI, L'ALCHIMISTE DE BIRMANIE"


Il existe peu d'ouvrages traitant de l'alchimie, du Bouddhisme tantrique et de l'ésotérisme en Birmanie. Quelques livres, articles, thèses et études permettent cependant d'en savoir un peu plus sur le culte Ari, sur les Pyus, sur les Gaings (sociétés/sectes religieuses issues du Bouddhisme Theravada) millénaristes, hermétiques et/ou ésotériques, ou encore sur l'eschatologie bouddhiste.
Ces ouvrages peuvent constituer un bon complément de lecture pour les non spécilialistes qui souhaitent approfondir certains points abordés dans mon livre. A ce titre, je précise que mon ouvrage étant un roman et non une publication scientifique, des raccourcis, changements ou interprétations ont été effectués qui pourraient faire froncer les sourcils à certains chercheurs à cheval sur l'épistemologie. Je les remercie par avance de leur compréhension tout en restant à leur disposition pour échanger sur les passages de mon ouvrage qui pourraient porter à débat.

Quoiqu'il en soit, voici une petite bibliographie choisie qui sera utile à ceux qui voudront en savoir plus sur l'ésotérisme birman (je remercie tous ceux qui alimenteront cette bibliographie) :

-       Renoncement et puissance, Guillaume Rozenberg, ed. Olizane, 2005.
-       Folk elements in Burmese Buddhism, Maung Htin Aung, ed. White Lotus, 1959.
-       Burmese supernaturalism, Melford E. Spiro, ed. Transaction Publishers, 1996.
-       Masters of the Buddhist Occult: The Burmese Weikzas, John P. Ferguson et E. M. Mendelson, Contributions to Asian Studies (Vol. 16), 1981.
-       A messianic Buddhist association in Upper Burma, E. Michael Mendelson, Bulletin of the School of Oriental and African Studies, University of London, Vol.24, 1961.
-       A wonderland of Burmese legends, Daw Khin Myo Chit et Paw Oo Htet, ed. Tamarind Press, 1984.
-       Colourful Myanmar, Daw Khin Myo Chit, ed. Tamarind Press, 1984.
-       Burmese folk tales, Maung Htin Aung, ed. Geoffrey Gumberglege, Oxford University Press, 1948
-       Forgerons et alchimistes, Mircea Eliade, ed. Flammarion, « Homo Sapiens », 1956.
-       Les Naq sont là ! Représentation et expérience dans la possession d'esprit birmane, Bénédicte Brac de la Perrière, Archives de sciences sociales des religions 2009/1 (n°145)
-       Les rituels de possession en Birmanie : du culte d’Etat aux cérémonies privées, Bénédicte Brac de la Perrière, éditions Recherche sur les Civilisations, ADPF, Paris, 227 p. + 15 planches.

MON ROMAN SUR LA BIRMANIE

J'ai le plaisir de vous informer de la publication de mon premier roman "Zawgyi, l'alchimiste de Birmanie", aux éditions Publibook, dans la collection Mon Petit Editeur.Voici le résumé de l'ouvrage :

En novembre 1885, Mandalay, capitale du royaume de Birmanie, est prise par les Anglais. Maung Aung, garde au palais royal, est le dernier des Aris, une secte ésotérique qui veille sur le secret de la pierre philosophale. Fuyant l’invasion, il disparaît pour retrouver le Zawgyi, l’alchimiste immortel qui provoquera l’avènement d’un roi messianique et du prochain Bouddha.

En septembre 2007, Éric Tamino arrive en Birmanie au moment de la "Révolution de Safran", une révolte de moines qui entraîne une répression violente. Témoin d’un meurtre, Éric, se met en quête du sens du tatouage qu’il découvre sur la victime. Ses recherches vont le mener d’aventures en dangers, de Yangon à la "Vallée de la mort", sur les traces de Maung Aung. Poursuivi en pleine dictature militaire par des agents voulant s’emparer de la pierre philosophale avant lui, ses péripéties lui feront entrevoir l’amour, la souffrance et la mort, ainsi que le chemin conduisant à l’Illumination.

Ce roman peut être commandé directement sur le site de l'éditeur à l'adresse suivante : http://www.monpetitediteur.com/librairie/livre.php?isbn=9782748378351

Il est également en vente sur les sites de la Fnac et d'Amazon. Merci d'avance pour votre soutien et à très bientôt pour de nouveaux posts.

Bonne lecture.

Jak BAZINO