jeudi 13 septembre 2012

LES SYMBOLES : UNE PORTE OUVERTE SUR LA CULTURE BIRMANE

Dans mon roman, je reprends de nombreux symboles issus de l’Hindouisme, du Bouddhisme et de l’alchimie, qui sont autant d’indices semés tout au long du parcours initiatique que suivent Eric et Sabai Pyu pour trouver la Pierre Philosophale. Or, aussi évident que peut sembler le déchiffrage de certains d’entre eux, je montre qu’un symbole peut revêtir plusieurs sens possibles selon le contexte, ou encore le point de vue que l’on adopte pour l’étudier. Finalement, cela nous amène à nous poser la question de ce qu’est réellement un symbole.

Je ne vais pas reprendre les définitions de base, l’étymologie grecque, bref tout ce que vous pourrez facilement retrouver sur Wikipedia. Car, contrairement à ce que voudraient nous faire croire les dictionnaires des symboles, la réponse est loin d’être évidente, et les chercheurs qui passent leur vie à les étudier ou à travailler avec ces outils, vous diront qu’il s’agit d’une quête sans fin ; un peu comme si vouloir saisir leur sens équivalait à saisir du sable : il semble toujours vous échapper.

Sans doute parce qu’un symbole ne fait pas sens, mais est avant tout un vecteur de sens. Il est un langage. On pourrait reprendre ici les travaux de Saussure sur les rapports entre le « signifiant » et le « signifié » ou encore ceux de Wittgenstein sur « les jeux de langage ». En effet, comme dans tout langage, le sens que revêt un symbole est arbitraire. Si la relation entre celui-ci et ce à quoi il se rapporte était directe, il deviendrait alors un index ou une icône, tels que les définit Peirce. Le dessin d’un chien n’est pas un symbole dès lors que l’on ne cherche qu’à représenter un chien. Et il est compréhensible par quiconque ayant déjà vu un chien. En revanche, il devient symbole si l’on utilise cette image pour représenter la fidélité, par exemple.

Or c’est là tout le problème : pour que l’émetteur et le récepteur se comprennent et que la communication s’établisse, il faut que le sens donné au symbole soit le même au départ qu’à l’arrivée. La meilleure image de l’incompréhension à laquelle peut mener le discours symbolique est sans doute la scène du lâcher de colombe dans le film « Mars attacks ». Pour reprendre mon exemple du chien, la personne ayant dessinée l’animal pourra vouloir représenter la fidélité. Il n’en deviendra cependant le symbole qu’à partir du moment où l’observateur associera l’idée de fidélité à celle de chien. Une personne d’une culture différente ou victime d’une attaque de chien pourra très bien y associer l’agressivité par exemple. A l’inverse, le récepteur pourrait voir un dessin de chien et y associer instantanément la vertu de la fidélité, alors que l’artiste voulait seulement montrer un chien. Dans ces deux cas, la communication symbolique ne s’effectue pas.

Ainsi, aucun symbole n’a de valeur ou de sens objectif : ils diffèrent d’une culture à l’autre, d’une personne à l’autre, d’une époque à l’autre. Il n’existe aucun symbole universel. Dans mon roman, je montre que les symboles laissés par les Aris ne sont compréhensibles que si l’on se place du point de vue d’un Ari du 11ème siècle. Une Bouddhiste Theravada du 21ème siècle, comme je l’explique, déchiffrerait ces indices d’une manière complètement différente. Je parle ici des fameuses « règles du jeu » que Wittgenstein décrit dans ses Investigations philososphiques, et qui ne rendent la communication par le langage possible que dès lors qu’elles sont partagées par les interlocuteurs.

Derrière le symbole se cache donc une volonté : celle de l’émetteur bien entendu, qui utilise cet outil pour transmettre un message, mais aussi celle de tous ceux qui partagent le sens, la valeur qu’il véhicule, et qui reçoivent et comprennent ce message. C’est en partie la raison pour laquelle l’homme communique par symboles. Parce qu’il s’agit d’un métalangage capable non seulement de transmettre de l’information et un sens de manière intuitive ("une image vaut mieux que mille mots"), mais aussi parce qu’il est porteur d’une volonté qui incite à l’action. Il suffit de voir l’impact de la croix gammée sur les foules allemandes ou celui d’un cercle vide sur les adeptes du Bouddhisme zen.

Tout cela est possible parce que, dépassant le seul rapport entre "signifiant" et "signifié" établi par le langage et décrit par Wittgenstein dans son Tractatus, le symbolisme ne s’adresse pas qu’à la raison, mais aussi, et peut-être surtout, au cœur du récepteur. Il permet tout d’abord d’intérioriser de manière efficace des informations, des valeurs, des significations, qui nécessiteraient autrement de long discours. Il suffit de voir les frissons que procure un simple buste de Marianne, qui ne sont pas seulement dus à ses formes féminines, et qui renvoient inconsciemment au triptyque républicain, aux Lumières, aux Trois Glorieuses, etc. C’est cette relation à l’inconscient qui a notamment poussé Jung à travailler sur les symboles et l’alchimie dans sa recherche des archétypes.

Enfin, en sens inverse, le symbole permet d’émettre ce qu’il y a de plus profond en nous et ce que nous aurions du mal à transmettre par des mots. Une baiser n’est-il pas le symbole de l’amour, sentiment que même les oeuvres de Stendhal, Ronsard, Bernardin de Saint-Pierre et bien d’autres encore ne suffiraient à décrire entièrement. Il en va de même de la foi et de Dieu pour les croyants, dont le langage courant ne saurait parler selon Wittgenstein (le fameux « ce dont on ne peut parler il faut le taire »), et qui s’exprime en revanche parfaitement à travers les symboles.

Ainsi, en plus de posséder une dimension horizontale (la communication entre les hommes), le symbolisme met en place une relation verticale, transcendantale, en ce qu’il est certainement le seul langage à pouvoir exprimer et à faire partager pleinement la spiritualité, qu’elle soit religieuse ou non. C’est d’ailleurs pour cela que l’alchimie, dans sa recherche de l’Illumination, s’est très vite détachée de ses pratiques opératives pour prendre une dimension spéculative à travers l’utilisation de symboles. Car si le langage courant et l’opératif permettent une action sur le monde, le symbole, lui, permet mieux que n’importe quel autre outil un travail sur soi.

Un symbole est finalement un peu comme une pyramide à plusieurs étages. La base représente le sens commun, le plus usité, souvent compréhensible de manière rationnelle par le plus grand nombre, même par des personnes de cultures différentes. Il s’agit en fait de la définition de base donnée par un dictionnaire : la croix gammée est le symbole des nazis, la croix celui des chrétiens, etc. Cela constitue un premier niveau de langage, presque iconique, qui se limite souvent à un simple échange d'informations. L'étage suivant constitue, de manière plus précise, la signification et la valeur culturelles du symbole, partagées par une communauté de personnes qui vont pouvoir communiquer du sens parce qu'ils utilisent les mêmes "jeux de langages".  Le compas et l'équerre "parlent" ainsi aux Francs-Maçons. Ils restent de simples outils pour le plus grand nombre. Il peut y avoir plusieurs étages intermédiaires, selon le degré de complexité du sens accolé à un symbole, compris par un nombre toujours restreint "d'initiés". Enfin, les derniers étages correspondent aux sens intimes donnés au symbole une fois qu’il a été intériorisé par l’individu, jusqu’à sa valeur inconsciente dont il n’a pas toujours connaissance lui-même et qui font du symbole un moteur de l’action.

Cette progression dans la compréhension des différentes dimensions du symbole jusqu’à l’intériorisation est essentielle, car elle permet d’expliquer le processus de création et d’appropriation, ainsi que les sauts de valeurs ou de sens qui peuvent s’opérer. C’est ce qui permet, entre autres, d’expliquer le passage du swastika hindou à la croix gammée nazie. C’est ce qui explique également les divergences existantes dans mon roman, entre le sens que les Aris, les Bouddhistes Theravada et les Hindouistes donnent à un même symbole. C’est aussi pour toutes ces raisons que j’ai choisi de parler abondamment du symbolisme dans mon ouvrage, car il me semble être l’outil indispensable permettant d’appréhender au mieux une culture ; en l'occurence la culture birmane.

En effet, sans une connaissance intime des symboles, la Birmanie reste incompréhensible et voilée au voyageur de passage. Comment comprendre l’aura d’Aung San et d’Aung San Suu Kyi, ou encore la révolte de Saya San, en dehors de leurs actions et de leurs combats, sans parler du Minlaung (voir un de mes articles précédents) et du Metteya ? Comment comprendre la politique birmane sans comprendre le yadaya, l’ésotérisme birman ? Comment évaluer l’impact de la construction du barrage de Myitsone si l’on ne connaît par les mythes Kachin ? Comment, finalement, apprécier la visite de la Shwedagon, de Bagan ou de n'importe quelle pagode sans connaître la cosmogonie bouddhiste ou tous les symboles qui sont représentés ? Ce serait comme se contenter de regarder la Vierge aux rochers de Léonard de Vinci sans en comprendre les jeux de regards ou de mains. Et ainsi de suite. C’est en tous cas ce que j’ai voulu faire : essayer d’offrir une meilleure connaissance de la Birmanie, à travers son inconscient collectif, ses symboles, son ésotérisme, etc.

Enfin, reste une autre dimension du symbole, celle qui en fait un outil de transmission cryptée d’information entre des personnes initiées. Il s’agit ici aussi bien de transmettre un message que de le cacher. Cette fonction, les alchimistes, notamment, l’ont beaucoup utilisée masquant leurs recherches derrière des symboles hermétiques. Les premiers chrétiens également, lors des persécutions, marquaient l’entrée des églises clandestines d’un poisson, symbole des premiers croyants bien avant la croix. Les artistes, enfin, ont usé des symboles pour échapper à la censure ou pour conférer plusieurs degrés de compréhension à leurs œuvres.

A ce titre, certains auront peut-être remarqué dans mon roman ce qui relève d’un niveau de lecture plus symbolique. Ainsi, les différentes épreuves par lesquelles passent les héros, par exemple, renvoient aux quatre éléments alchimiques de base menant à la réalisation du Grand Œuvre ; réalisation effectuée au 33ème chapitre... De même, les noms des protagonistes dérivent de ceux de plusieurs personnages de La flûte enchantée de Mozart, opéra qui parle lui aussi d’Illumination, de passage de l’ombre à la Lumière. Je ne reviendrai pas non plus sur la description du temple des Aris ou sur leur cérémonie d’initiation, qui doivent rappeler des souvenirs à certains d’entre vous. Si cela vous intéresse, je vous invite à relever les autres trames symboliques qui parcourent mon livre.

Dans tous les cas, j'espère que mon roman vous permettra de découvrir d'autres aspects de la culture birmane et qu'il vous donnera l'envie de visiter ce pays magnifique et pas comme les autres, si ce n'est pas déjà fait. Bonne lecture.